« On a pleuré deux fois hier (lundi), raconte Asma Siam, professeure de français à l’école catholique du Rosaire à Gaza. À l’annonce de la bonne nouvelle que le Hamas acceptait la proposition de l’Égypte : enfin un peu d’espoir ! Et lorsque Israël a refusé l’accord et dit qu’il continuerait son opération à Rafah… Tout s’effondrait à nouveau », ajoute l’enseignante de 43 ans, qui vit depuis le 18 décembre chez sa sœur dans la grande ville du sud, après avoir dû quitter son quartier de Khan Younès.

Depuis l’arrivée de l’armée israélienne à l’est de Rafah et l’intensification des bombardements lundi et mardi, Asma Siam songe de nouveau à partir. « La situation à Rafah est catastrophique. Tous les gens réfugiés doivent trouver un nouvel endroit pour vivre. Le déplacement, c’est ce qu’il y a de plus difficile. Les gens se retrouvent à dormir dans les mosquées, ou dans des tentes, parce qu’il n’y a plus de place nulle part. »

Pour l’instant, le quartier où elle vit avec sa sœur n’a pas reçu d’ordre d’évacuation. Lundi, l’armée israélienne avait enjoint aux habitants de plusieurs quartiers de l’est de la ville de partir pour « la zone humanitaire étendue ». « Mais on réfléchit à l’idée de rentrer à Khan Younès, dans notre appartement. Beaucoup de choses ont été détruites, comme les ascenseurs, mais l’immeuble est toujours debout. C’est mieux que rien. Et pourtant, ajoute-t-elle, vous ne pouvez pas imaginer la situation là-bas. Il n’y a pas d’eau, les conditions de vie sont dures. Tout est détruit… Mais où pouvons-nous aller ? On est obligé de faire ça… » Asma ravale un sanglot à travers le message vocal envoyé par WhatsApp. « On est comme un petit enfant qui cherche sa maman. On est perdus. On ne sait rien. Je ne trouve plus les mots pour décrire ce qu’on vit. Il n’y a plus d’espoir. »

« Avant, j’étais heureux »

Comme elle, 1,5 million de Gazaouis, actuellement massés à Rafah, pour la plupart déplacés de guerre, vivent dans l’angoisse depuis que l’armée israélienne a intensifié ses raids et pris le contrôle du côté gazaoui du point de passage avec l’Égypte. « Si l’occupation (l’armée israélienne, NDLR) entre dans la ville, il ne nous reste plus qu’à fuir ou à attendre la mort, affirme Mohammad Yousef, résidant dans l’ouest de Rafah. Mais si les bombardements se rapprochent encore, nous ne pourrons même plus nous déplacer. La mort est la seule chose qui reste à Gaza », ajoute cet étudiant en droit de 23 ans, joint mardi par WhatsApp. Aveugle, Mohammad Youssef ressent avec encore plus de terreur le bruit et le tremblement causés par les frappes et le tumulte de la guerre. « Je ne peux que les entendre et éprouver cette peur que l’occupation commette un génocide », explique le jeune homme qui a perdu trois cousins, des amis et plusieurs collègues depuis le début des hostilités entre Israël et le Hamas, il y a sept mois.

L’avocat stagiaire, qui vit avec onze membres de sa famille, caresse le rêve de quitter l’enclave palestinienne par l’Égypte pour poursuivre son master de droit à l’étranger. La cagnotte GoFundMe en ligne, lancée pour lui par une amie franco-palestinienne, atteint un peu plus de 8 000 € sur les 15 000 espérés pour obtenir un laissez-passer. Mais la prise du poste-frontière de Rafah par l’armée israélienne, qui coupe de facto l’accès pour l’aide humanitaire et empêche les possibles évacuations, risque de compliquer ses chances de mener ce projet à bien. « Avant la guerre, j’étais heureux de ce que je faisais. Je me réveillais enthousiaste à l’idée de devenir le premier avocat aveugle de Gaza et de changer la perception de la société à l’égard des non-voyants. Mais cette guerre folle a détruit tous mes rêves. »