Dans la nuit du 28 au 29 avril, 25 personnes ont été admises à l’hôpital sud, portant le bilan à 130 blessés et 51 morts depuis le 14 avril. C’est la dernière clinique en service pour les 2,5 millions de riverains et de déplacés massés à El-Fasher, la capitale du Darfour du Nord. Cette ville est la seule de cette immense région de l’ouest du Soudan à ne pas être tombée aux mains des Forces de soutien rapide (FSR), ces paramilitaires en guerre contre les Forces armées soudanaises (FAS) depuis le 15 avril 2023. La veille de ce sombre anniversaire, l’étau s’est resserré sur la capitale du Darfour du Nord, après la prise par les FSR de la ville stratégique de Mellit, située à moins de 70 km d’El-Fasher. Pour protéger la ville, les militaires bombardent les positions tenues par les FSR, sans épargner les civils. Les FSR, elles, ont instauré des points de contrôle routiers autour d’El-Fasher.

« Les délais de livraison de l’aide humanitaire s’allongent à cause des interminables négociations avec les différents groupes », déplore Claire Nicolet, responsable des urgences de Médecins sans frontières au Soudan. Or le temps presse. La cité a atteint le dernier stade avant la famine. Les prix sont hors de contrôle et l’eau potable se raréfie. « Nous avons épuisé nos stocks d’insuline et de médicaments indispensables aux dialyses », s’alarme un médecin qui a également constaté les exactions visant les Zaghawas, comme ce fut le cas lors de la première guerre du Darfour, il y a vingt ans. Dans ce conflit amorcé au début des années 2000, les peuples « non arabes » ont été systématiquement ciblés par l’armée, sur fond de racisme insufflé par la dictature militaro-islamiste d’Omar El Béchir.

Généralisation de la guerre

En novembre, les FAS ont reçu le soutien de plusieurs groupes rebelles « non arabes ». Des milliers d’hommes et de véhicules liés à ces groupes ont alors convergé vers le nord du Darfour. Ce retournement d’alliance a exposé encore plus les « non-Arabes » à la violence des FSR, qui faisaient déjà preuve de racisme envers eux. Salih Mahmoud Osman, le président de l’Association du barreau du Darfour, craint qu’il arrive à El-Fasher ce qu’il s’est passé à El-Geneina, la capitale du Darfour-Occidental, quand les FSR l’ont conquise : le nettoyage ethnique des « non-Arabes » qui a sévi entre avril et novembre 2023 aurait coûté la vie à 10 000 à 15 000 personnes, selon un groupe d’experts de l’ONU.

L’ambassadrice américaine aux Nations unies, Linda Thomas-Greenfield, redoute elle aussi « un massacre à grande échelle ». Sur place, Salah Alwaly, un représentant d’un groupe armé (le Rassemblement des forces de libération du Soudan) qui a rejoint les FAS, s’inquiète : « Nous voulons protéger les civils d’un génocide, éviter que nos sœurs et nos filles se fassent violer et empêcher les pillages et les déplacements forcés qui figurent à l’agenda des FSR. »

Résistance de la société

La violence continue de se propager dans toute la région. Entre le 31 mars et le 25 avril, 22 communautés du Darfour du Nord ont été attaquées et incendiées, probablement par les FSR, selon des chercheurs de l’université américaine de Yale.

Depuis le camp de déplacés dans la région, où elle travaille bénévolement, Arafa Musa veut croire, toutefois, que l’embrasement du conflit à toutes les couches de la société n’aura pas lieu. « À El-Fasher, les différentes composantes de la société ont conscience que cette guerre n’est pas leur guerre, ni une guerre contre certains peuples, mais bien une guerre entre deux généraux, assure-t-elle. Les civils tentent de contrer les discours de haine. Cependant, plus le conflit s’enlise, plus le risque d’un embrasement croît. »