Pour l’ONG Reporters sans frontières (RSF), c’est une manière de combiner les « deux grandes urgences du moment » : l’intelligence artificielle (IA) et le dérèglement climatique. Le projet Spinoza, présenté jeudi 16 mai et porté également par l’Alliance de la presse d’information générale (Apig), consiste à mettre au point un outil d’IA pour faciliter une production journalistique de qualité sur l’écologie. Il avait été annoncé à la mi-novembre.

À la manière du célèbre ChatGPT, ce prototype pourra produire des textes synthétiques sur la base d’une simple consigne écrite : « Où en est la fonte des glaces ? », par exemple, ou encore « Cite-moi trois arguments contre la pêche industrielle de saumon ». Au journaliste de rédiger ensuite son article ou de préparer son contenu audiovisuel en puisant dans les informations que lui aura proposées le système.

Le rédacteur en chef de La Nouvelle République du Centre-Ouest, Luc Bourrianne, qui assistait jeudi à la présentation de ce nouvel outil, « le voit comme une IA d’assistance » pour « un gain de temps » ou « la définition d’un angle » pour aborder un sujet, a-t-il expliqué à l’AFP.

Plus fiable que ChatGPT

Les informations proposées par le système – c’est tout l’intérêt de la démarche – pourraient se révéler plus fiables que celles que fournit le très généraliste ChatGPT. L’outil est connecté à cinq bases de données : 12 000 articles de presse, la législation, les rapports des experts du climat du Giec et de l’agence Ademe, ainsi que des documents tirés de la stratégie nationale bas carbone du gouvernement. Autrement dit, des dizaines de milliers de pages au total.

« Le système sera entraîné pour réagir conformément aux méthodes journalistiques en matière de recherche d’information », expliquait en novembre à La Croix Vincent Berthier, responsable du bureau technologie de RSF. « C’est-à-dire en priorisant certaines sources par rapport à d’autres, mais aussi en sachant dire quand il ne sait pas, pour éviter de répondre n’importe quoi. »

Surtout, le projet Spinoza vise à garantir la propriété intellectuelle sur les productions journalistiques. Depuis l’été 2023, les médias français commencent à s’organiser face à la collecte (gratuite) de leurs contenus par les systèmes comme ChatGPT, qui s’en « nourrissent » dans leur phase d’entraînement – comme du reste d’Internet. « En développant une IA transparente et respectueuse des sources, on pose un geste politique », selon Pierre Petillault, de l’Apig, qui regroupe près de 300 titres d’information quotidienne nationale, régionale et locale.

La nécessité, pour les entreprises fournisseuses d’IA, de créditer les sources, de respecter les droits de la propriété intellectuelle et de rémunérer les ayants droit fait d’ailleurs partie des grands principes édictés par RSF dans une charte rendue publique fin 2023 : la charte de Paris sur l’IA et le journalisme. Dans un rapport de force qui s’annonce pour le moins défavorable aux éditeurs de presse, l’ONG plaide, avec ce texte, pour une régulation forte des géants de la tech.

Préserver la déontologie journalistique

« Mais cela ne suffit pas à dédouaner les médias dans l’usage de ces produits », précise Arthur Grimonpont, responsable de projet IA à RSF. D’où les nombreux articles de cette charte (qui en compte dix en tout) consacrés aux responsabilités des médias eux-mêmes : être transparents vis-à-vis du public quand ils recourent à de tels outils ; garantir l’origine et la traçabilité de leur production ; faire une distinction claire entre les contenus authentiques et « synthétiques »

« L’intérêt de court terme de chaque rédaction n’est pas du tout le même que l’intérêt de long terme de l’ensemble de la profession, reconnaît Arthur Grimonpont. Les médias voient souvent l’IA comme un outil peu dispendieux qui leur fera gagner du temps et de l’argent. Mais ces gains de court terme peuvent nuire à l’éthique et à la déontologie journalistiques. Notre charte vise à préserver la fonction sociale du journalisme. »