Megalopolis *

de Francis Ford Coppola

Film américain, 2 h 18

En compétition

On a déjà tout dit sur Megalopolis, le dernier pari fou de Francis Ford Coppola : son ambition démesurée, sa gestation de plus de quarante ans et son budget astronomique de l’ordre de 120 millions de dollars (112 millions d’euros) dans lequel le réalisateur a investi une partie de sa fortune. Mais rien ne prépare le spectateur à un tel résultat. Une vision prophétique et hallucinatoire du futur de l’Amérique, livrée aux excès et à l’avidité de quelques-uns, ultime stade du déclin d’une civilisation sur le point de s’effondrer.

Le parallèle avec la chute de l’Empire romain était évident, et Francis Ford Coppola n’a pas hésité à s’en emparer pour le traduire cinématographiquement dans cette « fable » – comme l’indique le sous-titre du film – qui mêle la science-fiction et le péplum, le passé et le futur dans un continuum temporel propre à nous édifier sur les bas instincts de notre humanité. Si nous sommes bien au IIIe millénaire, New York est devenu la New Rome, les femmes portent des robes qui ressemblent à des toges, leurs cheveux sont ceints de couronnes de laurier et on y pratique les jeux du cirque au Madison Square Garden, quand on ne voue pas un culte à une chanteuse pop blondinette aux allures de vestale…

Un scénario elliptique

Inspiré par un épisode célèbre de l’histoire romaine, « la conjuration de Catilina », le scénario pour le moins elliptique – le cinéaste l’a réécrit de son propre aveu trois cents fois – met en scène un architecte de génie, César Catilina (Adam Driver), qui possède le pouvoir d’arrêter le temps. Il veut s’en servir pour construire un modèle alternatif de société fondé sur un nouveau matériau durable, le Mégalon, dont l’invention lui a valu un prix Nobel. Mais, en proie aux doutes, hanté par la mort de sa femme pour laquelle il a été accusé, il se heurte à l’opposition du maire conservateur de la ville, Franklyn Cicero, qui ne jure que par le béton et les casinos pour renflouer ses caisses.

S’ensuivent complots, scandales et coups bas que seul l’amour pur et désintéressé que lui porte la fille du maire, Julia (Nathalie Emmanuel), parviendra à déjouer, l’aidant à développer son génie créatif et à bâtir une utopie propre à sauver l’humanité. « Cette société est-elle notre seule option ?», s’interroge César.

Si les allusions aux divisions de l’Amérique d’aujourd’hui et aux menaces que font peser les populismes sur le monde sont évidentes – un vieux satellite soviétique au carburant nucléaire menace de s’écraser sur Terre –, le résultat est pour le moins déconcertant. Englué dans une esthétique kitsch au diapason de son univers décadent, distillant une intrigue trop métaphorique et parfois confuse pour séduire le grand public, sentencieux dans son propos surligné en permanence par la voix off quand il n’est pas gravé sur des plaques de marbre, le film est à l’image de son ambition : boursouflé et mégalomaniaque.

Théâtralité et envolées lyriques

Reste l’ultime geste cinématographique spectaculaire d’un cinéaste vieillissant et pétri de contradictions, qui n’a cessé d’accumuler les malentendus avec le public et les critiques de son pays. Pied de nez à l’industrie hollywoodienne, son film emprunte les codes des films de superhéros – voir la scène d’ouverture – pour les amener dans son univers, loin des images standardisées et des propos aseptisés produits à la chaîne par les studios. Ses références à lui sont plutôt à chercher du côté du cinéma muet (Metropolis ?) dans sa théâtralité, ses envolées lyriques et même ses quelques touches d’humour.

Surtout, Megalopolis est l’œuvre testamentaire d’un cinéaste de 85 ans qui, loin d’être désabusé, affirme sa confiance en l’avenir. Les plus belles scènes du film sont celles où César Catilina imagine la ville de demain. Ses dessins aux formes organiques, inspirées par la nature, se matérialisent sur l’écran coupé en trois. Comment alors ne pas pardonner ses excès – dont une fin édifiante – à un artiste qui nous dit à travers ce film que seuls l’amour et la création peuvent sauver le monde ? Au fond, à travers ce film dédié à sa femme récemment décédée, Coppola ne cesse de nous parler de lui-même et de son génie visionnaire, perpétuellement entravé par les considérations commerciales, et de sa foi toujours intacte dans le cinéma.

• Non ! * Pourquoi pas ** Bon film *** Très bon film **** Chef-d’œuvre

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Ses principaux films

1972 : Le Parrain, Oscar du meilleur scénario adapté en 1973.

1974 :Conversation secrète, Palme d’or au Festival de Cannes.

1974 :Le Parrain, 2e partie, Oscar de la meilleure réalisation et du meilleur scénario adapté en 1975.

1979 :Apocalypse Now, Palme d’or ex æquo avec Le Tambour de Volker Schlöndorff.

1982 :Coup de cœur.

1983 :Outsiders et Rusty James.

1984 :Cotton Club.

1986 : Peggy Sue s’est mariée.

1987 :Jardins de pierre.

1988 :Tucker.

1990 :Le Parrain, 3e partie.

1992 :Dracula.

1996 :Jack.

1997 :L’Idéaliste.

2007 :L’Homme sans âge.

2009 :Tetro.

2011 : Twixt.

2024 :Megalopolis.