Pourquoi les Évangiles présentent-ils plusieurs récits différents de la Résurrection ?

« Les récits de la Résurrection sont les passages les moins harmonisés de tous les Évangiles », selon le dominicain Renaud Silly, qui a dirigé le Dictionnaire Jésus (1). Il est ainsi peu utile, les concernant, de consulter une synopse, ce livre qui présente les Évangiles de Marc, Luc et Matthieu non pas successivement mais de manière parallèle pour confronter leurs récits d’un même événement. Comment expliquer que la Résurrection, épisode pourtant crucial, soit celui qui fasse l’objet de versions les plus différentes ? D’une part, « ces extraits sont sans doute les plus bruts, les moins retouchés et les plus anciens », explique Renaud Silly. D’autre part, « si la vie publique du Christ s’est déroulée devant les foules, les récits de la Résurrection ont un caractère privé, presque intimiste, que n’ont pas déguisé les évangélistes », ajoute-t-il.

Les divergences entre les textes tiennent plus généralement aux perspectives différentes des auteurs, selon leur identité et les communautés auxquelles ils s’adressent. Ceux-ci insistent alors sur des apparitions différentes, même si les Évangiles présentent entre eux des références internes – Marc mentionne par exemple l’apparition aux pèlerins d’Emmaüs racontée dans Luc. « Si l’événement présente des versions très différentes, c’est plutôt bon signe, assure même Renaud Silly. Un fait historique est d’autant mieux attesté lorsqu’il est corroboré par des témoins indépendants qui n’en font pas exactement le même récit. »

Pourquoi les disciples de Jésus éprouvent-ils des difficultés à reconnaître le Ressuscité ?

À l’image des pèlerins d’Emmaüs, les disciples ne reconnaissent pas tout de suite Jésus : « Leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître », nous dit l’évangéliste (Luc 24, 16). Une première raison de cet aveuglement est historique : « Nous espérions que c’était lui qui allait délivrer Israël », confient les deux pèlerins, en route, à propos du messie (Luc 24, 21). La résurrection de Jésus déjoue leurs attentes, en marquant le début d’« un temps intermédiaire jusqu’au royaume messianique que l’apocalypse s’efforce de repousser à la fin des temps », explique Renaud Silly. Dans l’Évangile de Marc, après l’épisode de la Transfiguration, les disciples « se (demandèrent) entre eux ce que voulait dire : “ressusciter d’entre les morts” » (Marc 9, 10). Pour beaucoup de juifs de l’époque qui attendaient une résurrection générale de tous les élus, cette idée est en effet étrange – certains d’entre eux, même, les sadducéens, ne croyaient pas en la résurrection des morts.

La non-reconnaissance de Jésus par ses disciples tient aussi à une raison plus théologique : la résurrection est plus qu’une simple réanimation du corps, comme celle de Lazare. Daniel Marguerat, exégète et bibliste suisse, auteur de Vie et destin de Jésus de Nazareth (2), explique que « la Résurrection fait entrer dans un autre ordre de réalité » et qu’« en même temps, il y a identité entre celui qui est mort sur la croix et le ressuscité ». Cette ambiguïté renvoie à ce que la théologie appelle le « corps glorieux » : à la fin des temps, chaque homme sauvé ressuscitera dans sa propre chair, qui sera aussi transfigurée dans la gloire. Comme l’explique Paul, « ce qui est semé corps physique ressuscite corps spirituel » (1 Corinthiens 15, 35-49).

Les Évangiles de la résurrection sont-ils seulement des récits de conversion ou sont-ils aussi des témoignages historiques fiables ?

Paul, au début de sa Première Lettre aux Corinthiens, expose l’enjeu très clairement : « Si le Christ n’est pas ressuscité, notre proclamation est sans contenu, votre foi aussi est sans contenu » (1 Corinthiens 15, 14). Pour renforcer la crédibilité de cet événement, il fait référence, quelques lignes auparavant, à « une multitude d’apparitions » (1 Corinthiens 15, 3-8). Mais que valent les témoignages de ces apparitions ? « Les événements de Pâques sont des expériences visionnaires, fondamentalement liées au sujet, donc subjectives », explique Daniel Marguerat. Les récits attestent cependant que les disciples ont été bouleversés par une révélation. « Celle-ci n’est pas une hallucination mais une intervention inexpliquée », précise-t-il. « Le théologien dit que cette révélation vient de Dieu ; l’historien constate simplement le bouleversement des voyants. Il peut alors apporter une autre explication, que les évangélistes ne fournissent cependant pas. »

Luc est celui qui a le plus à cœur de montrer que Jésus n’est pas un simple fantôme : suivant son projet d’historien, il cherche à convaincre de la crédibilité de la résurrection. Dans la troisième et dernière apparition qu’il rapporte, les disciples sont invités à toucher le Christ, qui propose une sorte de vérification de la réalité de son corps ressuscité – « un esprit n’a pas de chair ni d’os », leur dit-il.

Que prouve « le tombeau vide » ? Peut-on croire en la résurrection sans avoir vu le Ressuscité ?

« Il vit, et il crut » (Jean 20, 8) : le récit de l’Évangile de Jean est laconique à propos du disciple bien-aimé qui, le premier, constate que le tombeau est vide. Un signe qui doit suffire pour entrer dans l’intelligence de la foi et croire. Pourtant, si le tombeau vide établit la possibilité de la Résurrection, il n’en constitue pas une preuve visible. Si le disciple bien-aimé n’a pas besoin des apparitions du Christ, c’est que le plus important est ce qui ne se voit pas. Dans l’Évangile de Marc, il n’y a pas non plus d’apparition du Ressuscité – seulement dans la finale qui est un ajout plus tardif (Marc 16, 9-20).

La finale authentique finit brutalement sur la peur des femmes (16, 8), qui constitue une véritable mise à l’épreuve du lecteur. L’évangéliste nous invite à croire nous-mêmes à la parole de l’ange : « Il (Jésus) vous précède en Galilée » ; elle doit suffire. Si les autres Évangiles rapportent de nombreuses apparitions, ceux qui en bénéficient sont invités à ne pas s’arrêter à ce qui se voit : « À chaque fois, l’expérience réelle est subsumée dans une expérience spirituelle et permet de poser un acte de foi, résume Renaud Silly. La vision sensorielle ne suffit pas, mais les signes font entrer dans l’intelligence de la résurrection. »

(1) Bouquins, 2021.

(2) Seuil, 416 p., 24,50 €.

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Un livre. L’expérience fondatrice du Ressuscité vécue par les disciples

Le Ressuscité

de Camille Focant

Le Cerf, 224 p., 22 €

Dans Le Ressuscité (1), le professeur émérite de Nouveau Testament Camille Focant reprend le dossier littéraire de la Résurrection pour mesurer la fécondité de cet événement à travers la trace qu’il a laissée chez ses premiers témoins. Après l’expérience pascale, le Christ devient la clé d’une relecture spirituelle de toutes les Écritures, et la Résurrection le point de départ de l’écriture des Évangiles et de la propagation de la Bonne Nouvelle. Foi en la résurrection ne doit pas être confondue avec croyance en la survie, explique-t-il en analysant le vocabulaire utilisé par les évangélistes : le Christ n’est pas seulement le réveillé d’entre les morts, il est aussi le glorifié qui est élevé à la droite de Dieu et le vivant d’une vie transformée et renouvelée.

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Ce qu’il faut retenir. La vision des disciples

Les récits de la Résurrection sont les passages des Évangiles les plus différents : chaque auteur y développe une vision théologique particulière tout en attestant des mêmes événements survenus dans l’intimité des disciples.

Alors qu’ils attendaient l’établissement d’un royaume messianique, les disciples ont été bouleversés par une révélation inexpliquée, qui inaugure un temps nouveau de conversion intérieure.

Les disciples reconnaissent difficilement le Ressuscité, car Jésus est entré dans un autre ordre de réalité – son corps est à la fois encore marqué par la crucifixion et transfiguré dans la gloire.

Le tombeau vide n’est pas une preuve de la Résurrection mais un signe qui fait entrer dans l’intelligence de foi, tout comme les apparitions ne suffisent pas à croire en ce qui ne se voit pas.