Un hélicoptère blanc s’est posé dans une prison. Sur les murs déchirés de la cour principale, on a accroché ces grandes lettres bleues : « Siamo con voi nella notte » (« Nous sommes avec vous dans la nuit »). Ce sont ces mots de l’artiste française Claire Fontaine qui accueillent le pape ce dimanche 28 avril.

Sous un ciel grisonnant, François vient de débuter sa visite à Venise par l’établissement pénitentiaire pour femmes de la ville. C’est là que le Saint-Siège a choisi d’établir son pavillon officiel pour la fameuse Biennale d’art, à mille lieues du choix des autres États, qui rivalisent de luxe et de sophistication.

Quatorzième visite de prison du pontificat

Cette rencontre est de celles que le pape affectionne. La prison, située sur l’île de la Giudecca, au sud de la ville, est d’ailleurs la quatorzième dans laquelle il se rend depuis le début de son pontificat. « J’ai voulu vous rencontrer au début de ma visite à Venise pour vous dire que vous avez une place spéciale dans mon cœur », leur lance-t-il, après s’être installé sur un fauteuil simple.

François est venu, dit-il, se confronter à cette « dure réalité » qu’est le monde carcéral. Essayer de dire aux prisonnières, sous le regard de leurs gardiens, en uniforme bleu impeccable, mains croisées dans le dos, que la prison peut aussi constituer « une sorte de chantier de reconstruction ». Et demander aux autorités de créer en prison « les conditions d’une réinsertion saine ». « S’il vous plaît, ne mettez pas la dignité de côté, mais offrez de nouvelles possibilités ! »

Derrière les hauts murs de brique rouge, il poursuit : « N’oublions pas que nous avons tous des erreurs à nous faire pardonner et des blessures à guérir. » Des blessures résultant de « chemins, certains très douloureux », ou « d’erreurs », ajoute-t-il. « Chacun porte des cicatrices. »

« Un enfer maquillé en justice »

Assise au bout d’un banc de fer vert de la cour de la prison de la Giudecca, Giulia écoute. Elle est l’une des 80 détenues de ce qu’elle nomme, avec d’autres, la « maison ». Avant de parler, le pape l’a saluée, comme toutes les autres, zigzagant dans son fauteuil roulant pour pouvoir être sûr de n’en manquer aucune.

La jeune femme, qui n’a pas 30 ans, est l’une de celles qui guident, depuis huit jours, les visiteurs autorisés à entrer dans l’établissement pénitentiaire pour y contempler les œuvres d’artistes invités par le Vatican. Dans ce lieu où l’amitié et l’amour n’existent pas, leur dit-elle.

« Il n’existe aucune vie privée dans cet enfer maquillé en justice », a-t-elle écrit dans un poème qu’elle a composé. « Ici, détaille-t-elle, si tu te noies, ils te mettent une main sur l’épaule, non pas pour t’aider mais pour te faire couler encore davantage. » Et encore : « Même si nous sommes des délinquants, nous ne sommes pas insensibles. »

À Giulia et aux autres, le pape dira d’ailleurs : « Chères amies, chers amis, renouvelons aujourd’hui, vous et moi, ensemble, notre confiance dans l’avenir. Ne fermez pas la fenêtre, s’il vous plaît. » Avant de reprendre : « Il y a toujours une fenêtre ouverte sur l’avenir. » En disant cela, il sait bien que son message n’a rien d’évident. Mais il semble vouloir plaider ici l’impensable. « Chaque fois que je vais en prison, je me dis : pourquoi eux, et pas moi ? », déclarera-t-il à un journaliste, à la sortie de l’établissement.

« Le monde a besoin des artistes »

C’est depuis la chapelle de la même prison, devenue pour quelques mois un lieu de la Biennale d’art contemporain la plus connue au monde, que le pape François a ensuite adressé un message aux créatifs. « Le monde a besoin des artistes », insiste-t-il. « Il serait important que les différentes pratiques artistiques puissent s’établir partout comme une sorte de réseau de villes refuges », ajoute-t-il en faisant référence au statut historique de Venise.

Une manière, a poursuivi François, de chercher à « débarrasser le monde » de phénomènes « vides de sens » comme « le racisme, la xénophobie, l’inégalité, le déséquilibre écologique et l’aporophobie – ce terrible néologisme qui signifie phobie des pauvres ». Des mots derrière lesquels il y a toujours, tranchera-t-il, « le rejet de l’autre ».

« L’art nous éduque à ce type de regard, ni possessif, ni objectivant, ni indifférent, ni superficiel, ajoutera François. Il nous éduque à un regard contemplatif. Les artistes sont dans le monde, mais ils sont appelés à le dépasser. »

À Venise, ville menacée de disparition par une inexorable montée des eaux, le pape est aussi venu, ce dimanche, alerter sur « les nombreux problèmes qui la menacent ». Citant « le changement climatique, qui a un impact sur les eaux de la lagune et sur le territoire », mais aussi « la fragilité des bâtiments » et « du patrimoine culturel », François veut surtout insister sur les menaces pesant sur « les personnes ».

Aussi, avertit-il sur la place Saint-Marc, qu’il a rejointe en bateau, entouré de nombreuses gondoles, « la difficulté de créer un environnement à échelle humaine à travers une gestion adéquate du tourisme » et « tout ce que ces réalités risquent d’engendrer en termes de relations sociales effritées, d’individualisme et de solitude » demeurent pour lui une vive préoccupation.

Plaidoyer pour la préservation du « patrimoine humain »

Si François a fait le déplacement dans la Cité des doges, ce dimanche matin, c’est pour faire part de son inquiétude, sur cette place visitée chaque année par des millions de touristes, concernant la préservation du « patrimoine humain ». « Nous avons besoin que nos communautés chrétiennes, nos quartiers, nos villes deviennent des lieux hospitaliers, accueillants, inclusifs », plaide-t-il devant la dizaine de milliers de fidèles massés sur la mythique place Saint-Marc, sous un soleil timide. Entre les arcs qui la bordent, conçus au IXe siècle par Domenico Contarini, le 30e doge de Venise, François veut faire de Venise un « signe de fraternité ».

La matinée est bientôt terminée, et le pape se dirige désormais vers son hélicoptère, qui l’a attendu, depuis son arrivée, entre les murs de la prison. « Ne lâchez rien. Merci, merci. Je m’en souviendrai », avait-il promis aux détenues en les quittant. « Le vrai voyage n’est pas l’aller », avait dit, la veille, Giulia à ses visiteurs de passage. « C’est le retour. »

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