Sur la pelouse de Founders Park, au cœur du campus de la très huppée Université de Californie du Sud (USC) à Los Angeles, une trentaine d’étudiants musulmans, revêtus pour certains de keffiehs, s’agenouillent pour la prière du vendredi. Tout autour d’eux, une foule multiculturelle de près de 200 jeunes, dont beaucoup ont le visage caché par un masque ou un bandana, forme une chaîne humaine en brandissant des banderoles propalestiniennes : « Bombarder des enfants, ce n’est pas de l’autodéfense » ; « Pendant que vous étudiez, Rafah brûle » ; « Du fleuve à la mer, la Palestine sera libre », peut-on notamment y lire.

Après l’appel à la prière, un étudiant s’avance pour délivrer un prêche à la tonalité politique. « Après votre mort, lorsque vous vous trouverez devant Dieu, celui-ci vous dira, as-tu fait tout ce qui était en ton pouvoir (contre la guerre à Gaza) ? », lance le jeune homme, en appelant la direction de l’université à mettre fin à ses investissements dans des entreprises contribuant à l’effort de guerre israélien. Au-dessus de la foule, un hélicoptère noir et blanc de la police de Los Angeles survole le rassemblement.

Un campus sous haute tension

Partie il y a une dizaine de jours de la prestigieuse université Columbia à New York, la mobilisation étudiante pour Gaza ne cesse de s’étendre à travers les États-Unis. L’ambiance est particulièrement tendue à USC où la situation a dégénéré mercredi 24 avril après l’annulation du discours d’une étudiante propalestinienne, major de sa promotion, qui devait avoir lieu lors de la remise des diplômes en mai : plusieurs dizaines de policiers en tenue antiémeute ont pénétré sur le campus à la demande de la direction, après l’installation de tentes et l’arrivée de manifestants venus de l’extérieur. Quatre-vingt-treize personnes ont été interpellées.

L’université est depuis fermée au public. Jeudi 25 avril, USC a annulé la cérémonie de remise des diplômes, par mesure de sécurité, une première depuis le début du mouvement aux États-Unis.

« La façon dont l’université a géré la situation est catastrophique », estime Katya Urban, une étudiante en art, présente lors des émeutes. « La direction a jeté de l’huile sur le feu en appelant la police. Au lieu de calmer le jeu, les arrestations nous ont rendus plus forts et plus déterminés que jamais », assure la jeune femme qui a passé la nuit sur le campus.

La plupart des autres universités californiennes, notamment publiques, ont laissé les campements en place. À UC Berkeley, bastion historique de la contestation étudiante, on compte déjà près d’une centaine de tentes. Jusqu’à présent, les incidents sur ces campus y ont été plus limités.

Antisémitisme

À l’inverse des universités privées comme USC, le système public américain a l’obligation légale de respecter le premier amendement qui garantit notamment la liberté d’expression. Une valeur fondamentale, chérie par les Américains. « On peut ne pas être d’accord avec le discours des manifestants sur Gaza, car c’est un conflit complexe, plein de nuances, mais pour moi la liberté d’expression n’est pas négociable », affirme Michael, un enseignant de l’École de cinéma d’USC, venu soutenir les étudiants, qui souhaite rester anonyme.

Les slogans antisionistes scandés au sein de l’université inquiètent en revanche les étudiants juifs d’USC qui redoutent des dérapages. Depuis le début du mouvement aux États-Unis, une série d’incidents antisémites ont été signalés sur les campus : crachats, insultes, graffiti… Samedi 27 avril, l’université de Northeastern à Boston a démantelé un campement après que des manifestants ont appelé à « tuer les juifs ».

Entre le 7 octobre et la fin 2023, l’Anti-Defamation League (ADL), une association de lutte contre l’antisémitisme, a enregistré 732 incidents sur les campus américains contre 63 à la même période en 2022. « Il faut permettre aux gens d’exercer leur liberté d’expression », a réagi vendredi le directeur de l’ADL, Jonathan Greenblatt, lors d’une visite sur le campus d’USC. « Mais (…) traiter des étudiants (juifs) de “tueurs de bébés”, c’est différent. »