La bataille de Sainte-Soline aurait pu ne pas avoir lieu. Du moins si la signature, en décembre 2018, d’un protocole d’accord sur la construction de seize bassines dans les Deux-Sèvres avait permis de solder les différends sur l’usage de l’eau qui opposent agriculteurs irrigants et associations environnementales ; le tout sous l’égide de la préfecture en qualité de médiateur.

À l’époque, devant les réticences suscitées par le projet de construire des retenues d’eau dans le bassin de la Sèvre niortaise, « un processus de concertation avait permis de bâtir un consensus solide avec toutes les parties prenantes », selon les dires de Thierry Boudaud, le président de la Société coopérative anonyme de l’eau des Deux-Sèvres (Coop 79) qui rassemble les irrigants raccordés aux bassines. Encore sous le choc des événements violents qui ont eu lieu samedi 25 mars aux abords du chantier de la bassine de Sainte-Soline, cet agriculteur revient sur les concessions faites par lui et ses collègues dans l’espoir de rallier les associations environnementales.

Le dialogue impossible

« La base du protocole, c’est la sobriété de l’eau. Le protocole prévoit une diminution des volumes utilisés », insiste-t-il, tout en rappelant que le recalibrage du projet a donné lieu à l’abandon de trois retenues sur les dix-neuf initialement prévues. Les quotas de pompage eux aussi ont été encadrés afin que les exploitants ne puissent pas remplir leurs retenues si l’état des recharges hivernales en eau ne l’autorisait pas.

« Il n’y a que les militants de Bassines non merci ! pour prétendre que le protocole d’accord est caduc. Ce sont des éléments marginaux qui ont d’emblée tourné le dos à toute recherche de compromis, puis se sont radicalisés », fustige encore le porteur de projet. De fait, dès le jour de la signature du protocole d’accord, les militants de Bassines non merci ! réunis devant la préfecture de Niort manifestaient bruyamment leur désaccord. D’autres organisations de défense de l’environnement et certains élus écologistes ont d’abord joué le jeu du dialogue, avant de se retirer devant le constat de nombreux manquements.

De fait, le protocole d’accord a été discrédité par la poursuite du remplissage des réserves alors même que des niveaux d’eau alarmants contraignaient la préfecture des Deux-Sèvres à prendre des arrêtés de restriction d’usage de l’eau. Entre fin 2021 et fin 2022, les dernières associations environnementales qui siégeaient dans le comité de gouvernance du protocole d’accord en sont parties. Il s’agissait du Collectif de citoyens pour le respect de l’environnement sur leur territoire Val-du-Mignon (Ccret), de Deux-Sèvres Nature Environnement (DSNE) et de la Fédération départementale de pêche.

Des engagements agroécologiques non-tenus

« L’esprit et la lettre du protocole voulaient que l’accès à l’eau soit conditionné à l’adoption de pratiques agricoles vertueuses », rappelle la députée écologiste des Deux-Sèvres, Delphine Batho, qui participa elle-même à son élaboration, avant de claquer la porte en 2020. Parmi les contreparties prévues par ledit protocole d’accord : une réduction de moitié de l’usage des pesticides, la plantation d’une centaine de kilomètres de haies de manière à favoriser l’infiltration de l’eau dans les sols et, plus généralement, une transition vers l’agriculture biologique.

Or, « toutes ces conditionsont systématiquement donné lieu à des bras de fer, avec un blocage total en ce qui concerne une réduction sérieuse de l’usage des pesticides », observe l’ancienne ministre de l’environnement.

De son côté, la préfète des Deux-Sèvres n’a cessé de réaffirmer son soutien au protocole d’accord, reconnaissant que les choses « n’avancent sans doute pas aussi vite que certains le voudraient » mais que le protocole est « précurseur et porte l’ambition d’une véritable transition agroécologique ».

Un suivi scientifique du protocole d’accord alarmant

La principale pierre d’achoppement demeure la réduction de moitié de l’usage des pesticides à l’horizon 2025 par rapport à 2018. Pour le chercheur Vincent Bretagnolle, le compte n’y est pas. « Rien ne permet, au vu de la trajectoire prise par les engagements individuels, de penser que l’objectif de réduction de 50 % sera atteint », s’inquiète cet écologue, l’un des seuls scientifiques membres du comité scientifique et technique (CST) du protocole. Aucun agriculteur raccordé à la bassine de Mauzé-sur-le-Mignon ne s’est, par exemple, engagé à réduire les pesticides ou à se convertir au bio. « Un signal désastreux pour la première bassine à être entrée en fonctionnement », déplore le chercheur au CNRS.

L’étude du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), brandie par les agriculteurs irrigants pour démontrer « l’impact positif sur le milieu » des seize bassines, a pu de son côté faire l’objet d’une lecture partielle. Jusqu’à ce qu’une contre-expertise ne vienne démontrer que cette modélisation basée sur les années 2001-2011 ne tenait pas compte d’un paramètre majeur : le changement climatique.

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