« Une jeune fillette de noble cœur, plaisante et joliette de grand’valeur. Outre son gré on l’a rendue nonette… Un soir après complie, seulette estoit, en grand mélancolie se tourmentoit, disant ainsi, douce Vierge Marie, abrégez moy la vie puisque mourir je dois… »

Quelle triste et simple beauté dans cette complainte apparue en 1576 dans un « recueil de chansons en forme de voix de ville » rassemblées par l’éditeur – et peut-être compositeur – Jehan Chardavoine. Marc Mauillon la glisse au cœur de son dernier enregistrement, Travelling Songs (label Incises). A cappella, sa voix ductile, son timbre singulier lové dans une éloquence limpide et poétique rendent cette « nonette » du XVIe siècle si proche qu’on voudrait pouvoir la libérer ici et maintenant des chaînes où son cœur s’étiole.

Bach lui-même…

Entrelacs d’airs et de séquences instrumentales illuminées par les flûtes délectables de l’ensemble Les Joueurs de traverse et le luth perlé de Christian Rivet, cette balade musicale à travers l’Europe à la fin de la Renaissance témoigne de la vogue de certaines mélodies. « Tubes » de leur époque, ils inspirent mille et une variations, parfois sous la plume des meilleurs musiciens. On notera même que Jean-Sébastien Bach reprendra à son tour le thème de la pauvre nonette dans le choral final de sa Cantate BWV 73, créée pour l’Épiphanie en 1724…

Une fois encore, Marc Mauillon s’adresse à chaque auditeur comme à un ami qu’il invite à découvrir en sa compagnie quelques rares joyaux musicaux, dont l’écoute exige un calme et une intime attention pour en savourer les discrets éclats. Et l’on admire le mélange captivant d’intelligence et de sensibilité d’un artiste aussi convaincant dans le répertoire ancien que dans l’écriture contemporaine, sans parler de la mélodie française où, tel un conteur, il fait flotter les mots et les notes dans un souple balancement.

Souriante détox

Au terme d’une semaine balayée par les grands vents exaltants de l’Elektra de Richard Strauss, puis de La Walkyrie de Wagner (1), ce retour à de modestes effectifs instrumentaux et à une voix « légère » offre un contraste saisissant. Une sorte de « détox » sonore, totalement dépourvue toutefois de la grisaille associée généralement à cette pratique diététique plus saine qu’enthousiasmante.

Le flûtiste François Lazarevitch, ses Musiciens de Saint-Julien, la soprano Julie Roset et la mezzo Lucile Richardot lèvent le voile sur d’autres mélodies, rassemblées dans leur album Doux Silence (label Alpha). Place ici aux musiques de la cour de France dans la seconde moitié du XVIIe siècle. « Rien n’est si touchant que d’entendre ces petits airs par une belle voix accompagnée à l’unisson par une flûte traversière », écrivait vers 1730 le compositeur Michel Pignolet de Montéclair.

Comme Travelling Songs, cet enregistrement à la prise de son chaleureuse et délicate s’écoute dans la paix, à l’abri des bruits du monde. Instruments et voix enlacent leurs courbes comme de gracieux rosiers grimpants sur un treillage. Traits volubiles de la flûte, sonorités rustiques de la musette, tempo rêveur ou bourrée entraînante signée Lully renouvellent sans cesse l’intérêt. Jusqu’à ce si bel air, composé par le même Lully, dans lequel un Orphée profondément mélancolique confie : « C’est le plus grand des malheurs d’aimer quand on ne le peut dire. » Après la nonette malgré elle, c’est maintenant le fils d’Apollon que l’on aimerait réconforter…

(1) Nous y reviendrons en amont de la diffusion, le 15 juin sur France Musique, de cette soirée vécue le 4 mai au Théâtre des Champs-Élysées.