L’Élysée avait promis des mesures fortes et « très concrètes » aux hospitaliers, épuisés par trois années de crise sanitaire et une succession d’épidémies. Elles furent en tout cas nombreuses et, pour certaines, inattendues. En déplacement vendredi 6 janvier au centre hospitalier Sud Francilien, dans l’Essonne, où il venait présenter ses vœux au monde soignant, Emmanuel Macron a acté la fin imminente de la tarification à l’acte (T2A). Une excellente nouvelle aux yeux de la majorité des soignants, pour qui ce mode de rémunération privilégie la rentabilité à la qualité des soins.

« La logique exclusive de financement par la T2A a créé beaucoup de dysfonctionnements » et une « concurrence nuisible entre les établissements » privés et publics car elle « prend mal en compte les soins non programmés, les activités les plus complexes qui prennent du temps » , a souligné le chef de l’État. En clair, ces soins étant peu valorisés, ils échoient le plus souvent à l’hôpital public, « lésé » selon Emmanuel Macron, qui a promis de sortir de ce système dès le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS).

« Le symbole de l’hôpital-usine »

« Nous avons enfin été entendus, réagit le docteur Jean-François Cibien, urgentiste au centre hospitalier d’Agen et président du syndicat Action praticien hospitalier. La tarification à l’acte, c’est le symbole de l’hôpital-usine, dans lequel les soignants travaillent à la chaîne. En y renonçant, le Président réaffirme le modèle de solidarité qui fait la spécificité de la France », veut croire le médecin, qui voit là le premier acte d’une véritable « refondation » du système de santé.

« Les critiques sur la T2A ne sont pas une nouveauté dans la bouche d’Emmanuel Macron, observe le sociologue Pierre-André Juven, chargé de recherche au CNRS et adjoint à la santé au maire de Grenoble. Ce qui l’est, c’est sa remise en cause fondamentale, quand jusque-là, on parlait plutôt d’améliorer l’outil ». Reste que sa disparition ne changerait pas la face de l’hôpital selon lui. « La T2A a bien des défauts, mais c’est devenu une sorte de totem politique, d’autant plus pratique que cela permet de se focaliser sur le mode d’allocation des ressources, plutôt que sur les ressources elles-mêmes », pointe-t-il.

Quels financements ?

La T2A enterrée - du moins en partie, le Président ayant précisé qu’elle ne disparaîtrait pas totalement -, comment l’hôpital de demain serait-il financé ? Pour Djillali Annane, c’est toute la question. « En réalité, cela fait déjà dix ans que nous sommes sortis du « tout T2A », qui représente désormais entre 50 et 60 %de la rémunération, précise le chef de la réanimation à l’hôpital Raymond-Poincaré de Garches (Hauts-de-Seine). Diminuer encore cette part nécessite néanmoins de trouver d’autres mécanismes de financement. »

S’inspirant de ce qui a déjà cours dans la médecine libérale, Emmanuel Macron a évoqué la possibilité d’une rémunération « basée sur des objectifs de santé publique ». Une notion qualifiée d’ « un peu floue » par les professionnels. « Dans tous les cas, l’idée d’une part socle, financée par l’Assurance maladie, et d’une part variable dépendant du type d’activité va dans le bon sens », estime Djillali Annane.

La fin des 35 heures ?

Autre chantier de taille auquel le Président a promis de s’attaquer : le temps de travail. « L’hôpital est le seul endroit où les 35 heures fonctionnent encore », a-t-il souligné, regrettant un système « rigide » et « surcontraint » qui favorise les heures supplémentaires et le recours aux intérimaires. « Là encore, jamais cela n’avait été dit aussi clairement », se réjouit Jean-François Cibien, pour qui le temps de travail à l’hôpital « doit être remis à plat ». « Aujourd’hui, la plupart de mes collègues travaillent plus de 48 heures par semaine ; pour les praticiens hospitaliers, cela peut aller jusqu’à 90 heures par semaine », témoigne le médecin.

Trop de pression administrative

Pour Djillali Annane, plus que le temps, c’est la qualité de vie au travail qui pousse les soignants à quitter l’hôpital public. « Ce dont souffrent les hospitaliers, c’est de passer 30 à 50 % de leur temps à faire des tâches administratives auxquelles ils n’ont pas été formés et qui leur volent du temps auprès des patients », affirme le réanimateur. « Aujourd’hui, la pression administrative nous étouffe, on passe notre temps à remplir des dossiers au lieu de soigner », abonde Jean-François Cibien.

Une problématique à laquelle le président de la République compte également répondre « à court terme », notamment « en redéployant des personnels administratifs dans les services ». « Il faut remettre à plat ce système, et je demande que ce soit fait auprès du ministre de la santé par une équipe d’ici juin », a-t-il annoncé.

S’il salue un discours ambitieux, Djillali Annane attend de voir « comment tout cela va être mis en musique par le gouvernement et l’administration, surtout dans un temps aussi court. La pire des choses qui pourrait arriver, c’est que cela reste sur une étagère. »